Le Mot du Jour célèbre le solstice
et rend hommage à Pierre Desproges
L’été ! Quelle horreur ! C’est la saison des joies vulgaires et des exultations de masse. En hiver, l’homo sapiens de base fonce, la tête basse dans les frimas pour qu’on ne voit pas sa gueule. Mais que revienne l’été et voici qu’il relève le groin pour humer les petites brises le long des quais marins où il parade derrière son ventre enveloppé dans d’immondes chemises haïtiennes ; avec sa grosse qui se pavane à son bras en jupette rase-bonbon de style abat-jour à cellulite, et leur progéniture braillarde qui caracole autour et fait des ricochets pour stresser les mouettes et paniquer les harengs.
Même en ville, les gens commencent à se déguiser comme à la plage. Pourtant, rien n’est plus insultant à l’œil qu’un employé de banque bariolé ou qu’une sténographe-facturière multiflorale ! Au spectacle de ce laisser-aller luxuriant, l’homme de goût se prend à déplorer qu’on n’habille pas la France entière en gris muraille de Chine, comme au bon temps de Mao Tsé Toung. Et, plus intolérable que tout, voici que ressurgissent les T-shirts à message personnalisé. Personnalisé ! Oh sordide exploitation du langage des foules ! Ils sont un million d’assujettis sociaux blanc-navet à exhiber leur couenne dans un million de tricots de coton où l’on peut lire « Je suis un rebelle ». Et ils bêlent et broutent dedans, tous ensembles, tous pareils ! Et ils appellent ça un message personnalisé !
Quelle dérision ! Quelle époque ! Vivement la guerre !
… … …
Jamais ces messages ne correspondent à la moindre réalité tangible. Tenez, hier après-midi, sur le parvis de Notre-Dame de Paris, je croise une grande bringue plutôt joufflue, le genre « Belle des Champs », en plus laitière encore, avec des joues comme des fesses, un bon gros regard con de vache normande, des bras lisses et blanc-yaourt et une paire de lolos à ressusciter Leprince-Ringuet. Bref, cette conne était belle et bloubloutante comme un flan bavarois. Par chance, elle arborait un T-shirt blanc qui annonçait en lettres de feu « Je suis à prendre ».
Qu’eussiez-vous fait à ma place ? Je l’ai prise ! Mes enfants, quelle affaire ! La voici qui se débat en poussant des brames de truie des Ardennes, ce qui est généralement l’expression d’un profond désarroi. (La truie des Ardennes à plutôt tendance à couiner quand on lui grimpe dessus, c’est la biche lorraine qui brame sous le mâle)
Ayant ouï ces cris effrayants, voici que les flics déboulent, et le curé de Notre-Dame qui veut m’excommunier, et la délégation des enfants de Marie-couche-toi-toute-seule qui veut me finir à coups d’ombrelles bénites ! Quelle affaire ! Quelle affaire !
Texte de Pierre Desproges – « C’est l’été »
Photo « de la vraie vie » prise en août 2015 à Aussois (Savoie)
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