La philosophie du blue jeans
Mon vieux bloudjine informe ne correspondait décidément plus aux canons de la mode du XXIe siècle. Depuis qu'on me tannait pour lui trouver un successeur, j'ai cédé ce matin aux appels de la consommation de masse. (C'est à cette occasion que, pour la toute première fois, j'ai été impacté de plein fouet par les règles du confinement : il n'y a plus de cabines d'essayage dans les magasins populaires… J'espère qu'il n'en est pas de même Avenue Montaigne ou sur les Champs-Élysées…).
Bref, j'ai trouvé un futal un peu seyant et, qui plus est, paré de toutes les vertus de la consommation responsable (comme ils disent).
À preuve !
Et qui plus est, cette acquisition n'écornerait pas outre mesure mon budget habillement.
Pensez, 29 € 99 pour un article appelé à durer plus longtemps que le gouvernement !
Juste un détail… Le revers de la seconde étiquette cousue à l'intérieur de la ceinture m'apprend, en police 6, que mon fendard vient du Bengladesh. Via le Maroc…
Et là, c'était l'heure de ma sieste, et ma boîte à pensarde s'est mise à surchauffer : sur ces 29 € 99, combien reviennent au gérant de ce « Gémo » qui doit trouver une marge pour payer son loyer, ses charges, ses transporteurs, son personnel…
Et donc, combien revient à la caiss l'hôtesse de caisse polyvalente qui, entre deux mises en rayon, a ponctionné ma Carte bleue ? Combien revient au dégroupeur marocain qui à routé mon jeans sur la France ?
Je ne remonterais pas toute la chaîne, mais il serait intéressant de savoir quelle part du prix de vente revient, d’une manière ou d’une autre, au conducteur du tractopelle qui a pour mission de dégager les super porte-conteneurs encastrés dans le canal de Suez…
Je pense qu'il serait incongru également de s'interroger sur la part dévolue au gosse Bengladais qui a fait bouillir et rebouillir mon froc en inhalant les vapeurs d’une teinture infecte. Quant à sa petite sœur qui s'est plongée dans une décharge géante, ses pieds nus carrément sous les chenilles des bulldozer, à la recherche des bouteilles plastiques : combien retire-t-elle de mes 29 € 99 ?
De là, je suis parti en vrille et je me suis pris à imaginer que, à la faveur d'une quelconque calamité, genre COVID, on se remettrait à tisser de la toile de Nîmes dans les vallées des Cévennes, toile que l'on teindrait avec du Bleu de Gènes et que des petites mains dûment formées dans des écoles professionnelles transformeraient en vêtements au lieu de s'entasser dans des amphis de facs pourvoyeuses de Pôle Emploi. Il n'est même pas sûr que mon bloudjine « made in local » coûterait beaucoup plus cher…
30 mars 2021
Si c'était pas mieux avant…
ça sera p'têt' mieux après…
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