« Dans la politique, t’as de la ressource. (…) L’essentiel c’est de bien savoir sucer la bonne roue ou le bon paf. Pas se laisser décrocher. En être coûte que coûte. Brandir la flamberge si tu manques de gamberge, mais te montrer (…) Faut s’agiter, d’un sens ou l’autre, mais créer du bouillonnement. Le vrai politicien, c’est un comprimé effervescent. Il mousse, il pétille, il fait roter. La politique, c’est le côté gazeux de la nation : sa limonade, son champagne, ses pets ».
« …il n’avait qu’à faire comme tout le monde, c'est-à-dire [écrire] en style télégraphique. … On va vers une simplification extrême du langage. Bientôt, ceux qui emploieront des verbes auront besoin d’adjoindre une bande dessinée à leurs textes pour se faire comprendre, et les téméraires qui useront d’adjectifs seront mis à l’index ».
C'est la troisième semaine consécutive que nous passons en compagnie de Victor Hugo et de Georges Brassens… Excusez du peu ! Et voilà que, anticipant la saint Eloi, un troisième orfèvre en matière de mots vient compléter cet aréopage.
En 1980, Frédéric Dard mettait dans la bouche de San-Antonio cette bien peu modeste profession de foi : « Car enfin, la grande fondamentale différence, c’est que moi, je peux écrire comme eux [les écrivains académiques tels qu’André Gide] tout en répondant au téléphone et en trempant mon croissant dans mon café-crème, alors qu’eux, les tout sérieux, les blêmes, les grisâtres solennels ne seraient pas fichus d’écrire comme moi. Voilà, tu vois ? Ça oui, c’est de l’orgueil. Mais bien placé ».
In « Baise-ball à la Baule »
Pour ma part, je prêterais volontiers cette déclaration à Tonton Georges car enfin, j'imagine mal le pair Hugo se laisser aller à pareille gaudriole :
J'appelle ça « la spirale infernale »… À l'origine, un fait anodin, et puis te voilà à refaire le monde… Exemple : tu sirotes ton apéro en terrasse, tout tranquillou, quand tu dois interrompre ta conversation pour laisser l'espace phonique libre aux rugissements rageurs d'un stupide engin de plage qui flap-flape sur les paisibles vagues de la Méditerranée. Comme c'est aussi le moment que choisit le livreur de futs de bière pression pour livrer sa potion magique en laissant tourner son camion dont l'œil noir de l'échappement te fixe droit dans la face, il te vient des pensées philosophico-homicides. Pour Frédéric Dard, sa colère froide s'universalise à propos d'un évènement encore plus anodin : le simple contact (qu'on dira fortuit) avec une jupe en tweed…
« Rugueux, le tweed, lorsqu'il est de mauvaise qualité… (…) Y'a encore des brins de paille qui en sortent, ou de crin, ou de je ne sais quelle saloperie synthétique issue du pétrole de merde, que vivement qu'il n'en reste plus un baril sur cette planète, tant il l'a faussée, moi je trouve ; faussée complètement ; ses hommes, ses denrées, leurs prix, les guerres ; faussé les continents ; corrompu air et mers, terre et amour, conscience et congés payés ; tout empétrolé… ».
Frédéric Dard In « Y a-t-il un Français dans la salle » – 1979
Une citation de circonstance pour passer le Grand oral
« Le ballon ! La plus importante invention de l’homme. Fallait trouver la boule, c'est-à-dire la chose inerte prête à se déplacer à la plus légère sollicitation. Sans ballon, l’homme n’aurait pas survécu longtemps. Il se serait fait chier à crever, et il serait mort. Tu imagines l’Univers sans football, sans rugby, sans tennis, sans basket, sans boulodrome ? J’en frémis ».
Une grue géante de 75 mètres de haut a été installée le 16 décembre sur le côté sud qui longe la Seine.
Coucou, la revoilou…
Sans doute un effet de la poussée de ferveur suscitée par Noël, v'la Notre-Dame de retour sur les écrans de télévision… Les débats ne manquent pas. Démontage, déblaiement, reconstruction… sous quelle forme ?… à quelle date ? Il y a un quart de siècle (déjà !) je partageais l'avis de Frédéric Dard sur la question :
« Dieu n’a nul besoin de fastes, et cependant (d’oreilles) les hommes s’ingénient à Lui bâtir des édifices rivalisant de grandeur et de pompe, oubliant que les premiers offices se déroulaient dans des lieux très modestes. La plus immense des cathédrales, la plus gigantesque des mosquées n’assurent pas la gloire du Tout-Puissant. Lui, Il a la voûte céleste, la lumière du soleil, les chaînes montagneuses en guise de colonnes du temple. De l’étable de Bethléem à Saint-Pierre de Rome, que de malentendus entre Lui et nous ! »
In « Turlute gratos les jours fériés », 1993
En savoir plus
AMDG.– Ad maiorem Dei gloriam (« Pour une plus grande gloire de Dieu »), est la devise des membres de la Compagnie de Jésus autrement dit les Jésuites.
…parce que je me rends bien compte que j'en abuse et que, à l'instar de San-Antonio…
« …je suis un suspensionniste spontané. Dès que l’on m’enseigna, à l’école, les règles mouvantes de la ponctuation, je reconnus le point suspensif ! Il était déjà en moi ! À travers le fourmillement des virgules, des points-virgules et autre points en tout genre, je fus subjugué par ces trois petites crottes de mouche en ligne. C’est le refuge de l’inexprimable ! Le point de suspension, c’est ce qui vous reste à dire quand vous avez tout dit, donc l’essentiel ! »
Vendredi dernier, sur France Inter, François Morel interpellait Patrick Cohen :
« Patrick, je ne voudrais pas vous faire de reproches ; qui serais-je moi, petit chroniqueur ignorant pour vous chercher des noises, pour vous chercher des poux dans votre toison splendide ? Mais il se trouve que, pas plus tard que la semaine dernière, je crois que c’était vendredi, à ce même micro, au sujet d’un récent discours du Président de la République vous avez dit : “Il semblerait que son discours n’ait pas spécialement impacté les différents sondages concernant la présidentielle”. Je me permets de vous signaler cet anglicisme déplacé parce que les auditeurs de France-Inter sont très attentifs et très sensibles aux erreurs qu’on peut faire ». (…) Mais la peine de mort, ça ne peut pas s’appliquer raisonnablement à quelqu’un qui dit “du coup” ou “c’est juste merveilleux". Franchement… C’est trop (*), c’est démesuré »…
(*) C’est trop : Tiens, il l’a oublié celui-là !
Et aussi, comme le relève San-Antonio (Y en avait dans les pâtes) : « J’avais complètement occulté l’incident. Maintenant on n’oublie plus, on occulte ». Citation qui me retombe sous les yeux bien à-propos…
Tout comme les auditeurs de France Inter, les lecteurs (trices) du Mot du Jour sont très attentifs et très sensibles aux oublis que je peux faire. Ainsi, on (*) me fait remarquer que j’aurais dû aussi mentionner « en fait ». Ce « en fait » qui, répété à outrance deux ou trois fois par phrase, est particulièrement « impactant » sur mon humeur, et qui, « du coup », réveille aussi en moi des instincts homicides. On (*) me cite l’exemple d’un guide touristique érudit aux explications fort intéressantes, malheureusement ponctuées de « en fait » à foison. On n’entend finalement même plus ce qu’il dit, les « en fait » « occultent » le reste du discours…
13 juillet – Pour changer un peu (des 14 juillet précédents)
« …et à propos, tiens, ça aussi : le feu d’artifice. Quoi de plus con ? Parfois il m’en part sous le nez, par les nuits d’été, et je regarde ailleurs, pour mon esthétisme intime. Je me dis à chaque fois que ça me servira de comparaison, que j’écrirai dorénavant, dans mes polars : « Con comme un feu d’artifice ». Parce que franchement, c’est con. Et c’est fait pour les cons, la pyrotechnie. Les obliger à lever la tête. « Oh ! la belle bleue ! »
San-Antonio anticipait-il les turpitudes de Koh-Lanta ?
Les hommes : « Reprenez-les, mon Dieu, reprenez-les tous, y sont défectueux. Ne correspondent pas à votre maquette. On vous a empaillé sur la marchandise, Seigneur ! (…) C’est des vomissures, mon Dieu chéri, des cancrelats, blattes horrifiantes, endémiques. Ils ont l’abjection chevillée à l’âme. Et pas d’âme, le plus drôle. Mais qu’est-ce qui vous a pris, Seigneur ? Quand on a le pot d’être Dieu, on n’invente pas les hommes ! » San-Antonio in « Mon culte sur la commode » – 1979
« …vivement qu’ils aient asséché leurs saloperies de puits avec leurs frais derrick d’art, qu’on retrouve enfin les chars à bœufs feignants »San-Antonio in « À prendre ou à lécher » – 1980
Une bouffée d’enfance au détour d’un roman que d’aucuns qualifieraient de « sous-littérature »… Je fais partager cette page à tous mes copains « Yonnais ».
Collonges – Juillet 1950
« Ils prenaient le premier tramway où d’autres pêcheurs se trouvaient déjà, chargés de tout un barda. La somnolence était générale en ce dimanche matin, malgré les premières cigarettes et les haleines chargées d’odeurs de rhum. Le lourd véhicule ferraillait, bourdonnait, éclatait par instants en grêles sonneries qui ressemblaient à une gerbe d’étincelles sonores (pensait le petit garçon). Les voyageurs dodelinaient. Leur attirail sentait le poisson de la dernière sortie et il restait même des écailles séchées dans les mailles des épuisettes. Une fois sur le quai de Saône, on prenait le train bleu, qui ne ressemblait plus tout à fait à un tramway, malgré son trolley, et pas non plus à un vrai train. Il se composait de trois ou quatre voitures qui remontaient la rive gauche de la rivière. Le jour se levait en cours de trajet. Les vieux immeubles des bords de Saône se dégageaient lentement de la grisaille, leurs toits commençaient à flamber et pendant un instant, Lyon se mettait à ressembler à la Toscane. On arrivait à l’île Barbe… Le vieux pont suspendu dansait sous ses pas. Une fois dans l’île, il fallait chercher la bonne place. Il faisait frais. Des poissons sautaient hors de l’eau si vite que l’on doutait d’eux malgré les cercles concentriques qui s’étalaient. Le père « engrenait » le coup, c'est-à-dire qu’il lançait à poignées des céréales cuites : blé ou chènevis, afin d’attirer les perches et les ablettes. Le petit garçon restait sceptique, estimant que leur fournir de la nourriture à gogo diminuait les chances de les voir mordre à l’appât. Il commençait à s’ennuyer ».
in « Faut-il tuer les petits garçons qui ont les mains sur les hanches ? », San-Antonio -1984
Aujourd’hui, je laisse à San-Antonio, alias Frédéric Dard (1921-2000), le soin de commenter l’actualité :
« C’est l’heure de la bavasse sur les chaînes. Le moment que des messieurs hautement qualifiés viennent s’apporter des contradictions mutuelles en ayant l’impression de sauver le monde ».
« Dis bonjour à la dame » — Fleuve noir — 1975
Au plus que ça change, au plus que c’est pareil ! (Vieille sagesse populaire)
1 – Ou bien le Président VGE avait confié à Frédéric Dard son projet d’écriture et il se l’est fait sournoisement pomper; 2 – Ou bien le Président a bel et bien plagié San-Antonio ?
« Princesse Patte-en-l’air » Fleuve Noir – mai 1990