Après toute la semaine dernière passée en compagnie d'un sale type,
Restons encore un peu chez les méchants…
Chez un marchand de pianos
« Généralement, les locaux de ce commerçant sont plus vastes que ceux d’une mercière ou d’un cordonnier. Et ce qui frappe, lorsqu’on y pénètre, ce sont justement les pianos. Cet instrument dont si peu de gens savent se servir et que tant et tant possèdent, hélas, n’a pas intérêt à vivre en troupeau. Seul, il a une présence éloquente. Le silence qui l’environne est encore de lui, comme disait l’autre à propos de Mozart. Mais en nombre, il devient barbare. As-tu été poursuivi par une horde de pianos affamés dans ces immenses locaux où tremblent constamment des accords que les femmes de ménage ne parviennent pas à évacuer ?
La mâchoire béante, les dents belliqueuses, le ventre gargouilleur, ils te cernent, ces salauds. Les noirs sont les plus mauvais. Surtout les demi-queues, j’ai remarqué. Mais ne crois pas que les blancs soient de tout repos. Oh que non. Il y en a un qui m’a mordu la main, un jour, alors que je m’apprêtais à le caresser et j’en porte encore la marque. On l’a envoyé à l’Institut Pasteur, des fois qu’il aurait la rage. Mais non, simplement il était teigneux, viceloque. Craoum ! Le happement fulgurant. Tu vois cette cicatrice blanche, là, sur le tranchant de la main. Eh bien, c’était ce piano droit de chiasse ! Il ne disait rien. Il ressemblait à une coiffeuse laquée. Je passe, la main pendante : craoutch ! Salaud ! Si j’ai un conseil à te donner, munis-toi d’une belle contondance pour visiter le hall du piano t’approche jamais des queues, ces baleines qui peuvent t’envoyer à dache d’un frétillement. Ou bien t’écraser de leur couvercle. Te collimater entre leurs cordes tentaculaires. Et puis te dévorer à pleines ratiches… Et dis-donc, pardon, tu sais la denture du monstre ? Cinquante-deux ratiches blanches, trente-six noires, chapeau ! Tu parles d’un crocodile ! »
San-Antonio
in « Vol au-dessus d’un nid de cocus » 1978
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