Dans À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, Mme Verdurin rit si fort qu’elle se décroche, littéralement, la mâchoire.
Le docteur Cottard (un jeune débutant à cette époque) dut un jour remettre sa mâchoire qu’elle avait décrochée pour avoir trop ri.— (Marcel Proust, Un amour de Swann, 1913)
À l'école des rédacteurs de Var-matin on devrait un peu plus insister sur la difficulté qu'il y a à vouloir tordre à tous ses phantasmes les locutions verbales populaires…
En l'occurrence, puisqu'on est à la rubrique des Sports dans le Midi, une allusion au sourire carnassier de Bernard Tapie aurait aussi bien fait l'affaire et m'aurait évité cet affront à Maître Léonard !
L'Homme change. Tout change. Ça s'appelle l'évolution. L'Homme devint 1e crâneur, 2e feignant, 3e mou du cul. Étant devenu crâneur, il ne se contenta plus des petits pois enveloppés dans leur cosse de petit pois, peuh ! Il les lui fallut dans de jolies boîtes en fer avec dessus des petits pois très beaux, bien dessinés, bien ressemblants, et « Petits pois » écrit en rouge, tout à fait distingué. Et l'eau, vous savez quoi ? Tenez-vous bien. Il la lui fallut dans des bouteilles, l'eau, avec écrit dessus des jolies choses très flatteuses. Je vous jure ! Tout comme ça. Vous voyez, quel crâneur, ce mec. Et quand il avait mangé les petits pois, il jetait la boîte, et quand il avait bu l'eau, il jetait la bouteille, mais les petites bêtes de l'humus se cassaient les dents sur le fer de la boîte et sur le verre ou sur le plastique de la bouteille. Et ça ne faisait pas de l'humus, pas du tout. Ça ne faisait que du tas d'ordures. Étant devenu mou du cul, l'Homme ne se contenta de la terre, sa mère, pour dormir dessus. Il lui fallut des sommiers à ressort, et c'est pourquoi le ressort de sommier a, sur toute la surface de la planète, remplacé l'humus nourricier. Pleurons. Étant devenu feignant, il se prélassa dans des voitures de sport pour fasciner les minettes au lieu de leur courir au cul, hardi petit, la quéquette en l'air et de les étendre à coup de massue, et hagne donc ! Et voilà pourquoi des tas de carcasses de voitures de sport ou qui voudraient bien être de sport ont remplacé les majestueux cèdres du Liban. Vous vous rendez compte ? Quel cochon ! Saloper toute une planète, et vivre dans la merde et la rouille et le plastique et le béton et le mazout et le ressort de sommier, sans compter les odeurs et les maladies, pour le vain plaisir de manger des choses bien présentées, de dormir sur du moelleux et de se payer des minettes dans des lamborghini… Eh, eh… Ben… Hm… Oui, finalement, comme vous dites, ça donne à réfléchir.
Texte et illustration d'après François Cavanna L'aurore de l'humanité-II – Belfond – 1984
Quand la baronne Dudevant avait quelque chose à dire, elle ne le faisait pas par derrière !
« […] On remonte le Gapeau […] On passe Pachuquin, prononcez Patchioukine. C'est une auberge qu'on dit propre et dont le propriétaire a donné son nom étrange à cette localité. La calèche file à l'ombre et la route monte toujours. […] On traverse en voiture un petit gué qui, sous les pas des chevaux, se précipite en cascatelle. […] Après un quart d'heure (trop court) de route en forêt, on arrive à la Chartreuse, rebâtie tout à neuf. C'est un amas de maisonnettes blanches couvertes de tuiles courbes roses et surmontées de clochetons de pigeonnier en brique émaillées de diverses couleurs formant des dessins d'un goût absurde. Du milieu de cet amas de maisonnettes sort un campanile tout noir, en terre cuite je crois, à arêtes, terminé par une bonne Vierge toute blanche. C'est absolument un parapluie fermé avec des bouts en ivoire. La chapelle est peinte à fresque par le plus ignoble des barbouilleurs de village. […] Je n'ai pas voulu entrer dans la Chartreuse. […] Retour rapide, changement de voiture à Toulon ».
26 mai 1861 : George Sand Le voyage du Midi – Montrieux
Vous l'ai-je déjà avoué ? Je n'ai aucune aptitude aux jeux de lancer. Dans cette photo de Robert Doisneau je pourrais être le petit gars tout à droite qu'on a relégué dans les buts et qui se gèle dans les effluves de la fonderie en attendant que ça passe. Qu’est-ce que j’ai pu me les cailler en gym ! Au service militaire, au lancer de grenade il fallait rester derrière les sacs de sable ! Si vous tenez à la prunelle de vos yeux, ne jouez jamais aux fléchettes avec moi ! Ce préambule pour vous dire comme, en ce beau mois de mai, je suis particulièrement – han – gâté par ces – han – reportages – han – en direct de – han – Roland-Garros ! FAUTE(Ça, c'est la voix du deus ex machina qui, perché sur son escabeau, est capable d'apprécier au millimètre si la baballe est ou non tombée du bon côté de la ligne).
Mais bon… Puisqu'hier ces gladiateurs des temps modernes s'invitaient au Journal télévisé, j'ai pu revoir quelque peu mes jugements sur ce jeu de paume revisité à l'anglaise… Je tenais Roland-Garros pour un refuge du bon goût, de la retenue, et du fair-play. Ah ben ouïche ! Pour le bon goût, les riches élégantes ne se vêtent plus au rayon sport des grands couturiers, mais celle qu'a repérée le cadreur hier portait, ajusté à la perfection, un petit short qu'elle avait su garder d'une blancheur immaculée malgré la chaleur et le siège en plastique ! Ce que l’image perdait en glamour, elle le gagnait en rondeurs… Et puis, ombrelles et capelines ont dû capituler devant l'invasion des casquettes de camionneurs américains. Un peu de retenue, que diable ! Ce n'est plus Roland-Garros, ça confine au Stade Vélodrome, quand ce beau monde se met à brailler après le point décisif du jeu, du set ? Jamais compris leur décomptes médiévaux… Certes, nous n'en sommes pas encore au « Milano, Milano, va fan… » des arènes footballistiques, mais laissons du temps au temps !
Et le fair-play, dans tout ça ? Il va de pair avec la retenue et, entre les séquences de jeu, les braillards scandent tour à tour le nom de celui qui vient de marquer un point… Sans considération pour leur champion précédent. Et je ne vous reparlerai que pour mémoire du souverain dédain avec lequel le champion balance négligemment derrière lui une balle jugée par lui… (tiens, jugée quoi, au fait… trop ronde ou trop jaune ?) sans un regard pour le gamin ou la gamine à qui l'on inculque l'asservissement devant la puissance et la gloire. Bon… On va pas dire que c'était mieux avant… Mais il va falloir que je procède à une sérieuse révision de mes archétypes !
Le Mot du Jour comptait ce matin attirer votre attention sur les râles orgasmiques qui ambiancent (verbe à la mode) Roland-Garros. Mais à 7:00 h, Daniel Morin m'a coupé l'herbe sous le pied.
Et comme je laisse aux billettistes professionnels le soin de gloser sur les mystères de l'âme humaine qui font que l'on choisisse le Quatar Paris plutôt que Madrid pour exercer son art footballistique, ou de disserter sur l'ambigüité des rapports de pouvoir et séduction parmi les élites de la nation, vous ne couperez pas à, encore, une de mes pages choisies.
La (pré)histoire de l'or (Au)
« Ben oui. Y a du pour, y a du contre. Finalement ça sert pas à grand-chose. Ça serait plutôt une curiosité, un truc rigolo pour faire joli sur une étagère et entretenir la conversation, genre cristal de roche, coquillage, statuette porno pré-colombienne, vous voyez, quelque chose comme ça… Et bien je vais vous étonner. Ce machin, pour l'Homme, vaut plus que le blé, que la citrouille, que l'aurochs, que les femmes, que dormir à l'ombre, que chanter et se soûler la gueule, que père et mère, que la vie… Vous ne me croyez pas ? Vous rigolez ? Vous me dites « À d'autres ! », vous demandez par quel prodige ? Je vous expliquerai ça – si j'y arrive – une autre fois ».
Texte et illustration d'après François Cavanna – L'aurore de l'humanité-II – Belfond – 1984
Puisque la Chanson de dimanche dernier nous a ramené sur la plage des années 60, et comme c'est de saison, restons dans les cucuteries de l'époque avec Jean-Jacques Debout…
Le 10 mars dernier, le Mot du Jour signalait à votre attention un spot publicitaire au message ambigu… mais néanmoins crédible… Aujourd'hui, plus question d'ambigüité. Il est parfaitement clair que ce spot radiophonique est sorti de l'imagination indigente de pubards restés au stade de « la blague à Toto ». À force de concocter ce genre de saynète débile, peut-être adapté à leur monde, ces fils de pub ne nous prendraient-ils pas pour des demeurés qu'ils croient à leur image…
– Allo ? – Ouais Justine, ça va ? C'est Antoine… – Antoine ? – Mais si, Antoine, 6° B à Pasteur. On était dans la même classe… Dis, t'aurais pas 2000 euros ? – Non, mais tu peux aller sur l'appli LCL
« Les Pense-pour-nous, c'était des hommes tellement bons qu'ils étaient des millions de fois meilleurs que n'importe quel autre homme et qu'ils savaient dans le dedans de leur tête tout ce qui était bon pour les autres hommes.
Tenez, par exemple, c'étaient les Pense-pour-nous qui avaient compris les premiers que les pays étrangers étaient pleins de méchants et qui l'avait dit aux autres bons.
De loin en loin, les Pense-pour-nous révélaient que les méchants de tel ou tel pays étrangers étaient devenus subitement encore plus méchants, et il fallait vite aller leur casser la gueule avant qu'ils ne viennent casser la nôtre, marchons, marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons, et ça s'appelait sauver la patrie, et après il y avait un beau défilé, et beaucoup de méchants étaient morts, et aussi beaucoup de bons, ce qui prouve qu'ils n'étaient pas si bons que ça, tout compte fait, et qu'un coup de balai de temps en temps ça ne fait de mal à personne.
Ceux qui reviennent avec une jambe de bois sont un tout petit peu moins bons mais on ne leur fera pas sentir. On va leur donner une médaille à la place, quelle belle journée, comme c'est émouvant, tous les armistices c'est pareil : faut que tu rentres soûl perdu, à bas les méchants, vive les bons, à bas les méchants, vive les bons, à bas les méchants, vive les bons, vive les bons, vive les bons, vive nous » !
Texte et illustration d'après François Cavanna – L'aurore de l'humanité – Belfond – 1984
Pour asseoir sa réputation de bon cadreur, il est un point essentiel : soigner ses arrière-plans.
Ainsi, le 16 mai, quand je démarre cette séquence, à la minute 26:43 du 13H de TF1, je réalise que le décor de cette plage trop vide est bien monotone…
Il s'impose d'aller chercher un peu de vie en entamant un lent panoramique vers la gauche, quitte à faire se déplacer le reporter.
26:55. Ho là… Tout doux Bijou ! Je crois que j'ai trouvé un sujet accrocheur…
Aujourd'hui : de la fragilité du sentiment de propriété
« Quand un type dit « Ceci est à moi », dans sa tête, il y a un câble, un gros câble, bien râpeux, bien solide, qui est attaché à un bout à la chose et à l'autre bout à lui, type, avec des nœuds très serrés, très costauds.
Comme il y a au monde beaucoup de choses et beaucoup de têtes, ça fait beaucoup de câbles, oh là là, oui ! Tellement de câbles qu'il n'y aurait plus moyen de circuler entre tous ces câbles s'ils existaient ailleurs que dans les têtes.
Heureusement, ils ne sortent pas des têtes, ou alors rarement, par exemple pour les chiens, et alors ça s'appelle une laisse, ou pour les femmes du monde, et alors ça s'appelle une rivière de diamants ; mais ce sont des cas exceptionnels, et de toute façon on ne peut pas toujours tenir l'autre bout, il y a forcément des moments où on le lâche, ne serait-ce que pour faire pipi, et alors, crac, le chien traverse la rue juste quand passe l'autobus, la femme du monde en fait autant juste quand passe une lamborghini avec un gigolo dedans. L'un passe dessous, l'autre saute dedans, on ne peut pas savoir d'avance ? En tout cas le chien, la femme… pfuitt… à pus ».
Texte et illustration :François Cavanna – L'aurore de l'humanité – Belfond – 1984
Et, du coup, ce fidèle de Majax nous sort illico une taupe sortie de la grande botte !
La taupe (ou le Taupin).– Cette appellation plutôt réductrice concerne les élèves de maths sup et maths spé en prépa.
La grande botte.– Le terme renvoie à l’ensemble des carrières civiles réservées aux meilleurs élèves de l’École polytechnique. La « fine botte » désignait les mines, la « grande botte » les ponts et chaussées.
On n'en peut plus ! À chaque jour son lot de suppositions… Ça ouvre tous les flashs info… tous les journaux télé… Quel lapin (ou lapine) va-t-il nous sortir de son chapeau ? À force de faire durer le plaisir, les médias se mélangent les pinceaux et démissionnent Castex plusieurs fois par jour…