Aujourd’hui, c’est (encore) Vocabulaire
Le Mot du Jour acte la mutation en marche
Pour se reconnaître entre mutants, il faut utiliser le charabia en vigueur dans les entreprises performantes, américaines ou américanisées.
Notre langue était justement en train de s'appauvrir grâce aux efforts répétés des gazetiers qui espèrent que le grand public les comprenne, lequel use d'un vocabulaire réduit de réfugié dans son propre pays.
Désormais sont apparus des mots nouveaux, assez flous pour en remplacer cent autres plus imagés, plus précis, plus nuancés et plus compliqués à retenir dans des mémoires anémiées.
Ainsi entend-on tous les jours un politicien nous expliquer que telle décision a été actée, ou tel gazetier affirmer que les orages ont impacté les vignes. Confusément, on comprend que l'orage et la vigne ont un point commun sans en connaître les dégâts ou les bienfaits. À la place d'impacter, on serait avisé de se servir dans la gamme des verbes existants qui nuancent une information qui ne nous informe plus : tremper, abîmer, balayer, pourrir, ratatiner, détruire, casser, foudroyer, brûler, noyer, accidenter, déraciner, esquinter, ratiboiser, dégrader, tuer, bouleverser, ruiner, déchirer.
Il en va de même avec acter, cet autre verbe qui évacue toutes les nuances et ne signifie rien.
Prenez « La directrice de l'école acte l'interdiction du portable ». On devrait se contenter, en français, d'être simple et d'oublier ce verbe : « La directrice interdit le portable ». D'autres verbes, plus francs, auraient pu nous révéler l'humeur de la directrice : décider, décréter, choisir, saisir, confisquer, chasser, bannir, refuser, etc.
Ainsi lavée, notre langue est prête à se livrer aux barbares.
Cette langue à côté du français rassure les individus qui l'emploient et surtout les isole du troupeau trop conventionnel, trop populacier, trop dépassé. Ils décalquent la langue des entreprises performantes.
Il n'existe plus de bénévoles comme au patronage, mais des helpers. On dit challenge pour défi, process pour méthode, claim pour revendication, snackable pour une idée résumée en slogan. On dit aussi
On trouve également des mots français chargés d'un autre sens qu'à leur origine : par exemple, tout devient disruptif, un terme de la physique né en 1856 : il rend compte d'une étincelle qui dissipe en explosant une grand partie d'énergie accumulée. Dans la langue normale, cela en revenait au mot rupture, si trivial, et moins moderne. On complique parfois pour rien.
D'après Patrick Rambaud
in « Emmanuel le Magnifique »
Grasset – janvier 2019
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